Comment situer l’Europe de l’Est dans les débats et l’histoire (post)coloniale ? Comment comprendre une région qui fut à la fois oppresseur et opprimée ? Cette exposition présente les façons dont les forces coloniales et néocoloniales ont navigué ces territoires, la Pologne en particulier, de l’abolition du servage par les plans d’expansionnisme polonais en Afrique, jusqu’à l’usage pervers de la théorie postcoloniale dans les discours contemporains de droite. Une telle enquête permet de mieux comprendre l’Europe de l’Est d’aujourd’hui: la montée des néonationalismes, le besoin permanent d’affirmer son exceptionnalisme et sa victimisation sur la scène internationale, l’opposition quasi-catégorique à l’immigration, et le refus de porter un regard critique sur son propre passé mais aussi les façons de dépasser tout cela.
Une bannière du collectif Slavs and Tatars évoque l’autodétermination dans la lutte contre le partage de la Pologne entre la Russie, la Prusse et l’empire Austro-Hongrois qui coïncide aussi avec le combat populaire et transnational contre le servage, le système de quasi-esclavage forçant l’attachement d’un paysan à une manse servile, répandu en Europe de l’Est à partir du Moyen Age jusqu’au XIX siècle. Janek Simon, lui, trace l’histoire de la Ligue Maritime et Coloniale, une organisation non-gouvernementale qui, en 1939, comptait environ un million de membres et tentait d’établir des colonies au Cameroun, au Togo et à Madagascar. Ses sculptures 3D et oeuvres algorithmiques proposent d’imaginer une langue planétaire entre le singulier et le commun. Emma Wolukau-Wanambwa ranime l’histoire de réfugiés Polonais qui, évacués en Iran pendant la Seconde Guerre mondiale, se sont retrouvés en Ouganda, isolés dans des camps dont la mémoire a été effacée. Agnieszka Polska s’inspire de l’écrivaine Maria Janion et de son concept de « slavdom » afin de rendre compte d’un pays déchiré entre ses sentiments de supériorité et d’infériorité vis à vis de l’Est comme de l’Ouest. « Parfois – dit l’artiste – j’ai l’impression que la Pologne est en train de se noyer. »
Selon certains intellectuels, il existe un lien étymologique entre les mots « slave » et « esclave ». Des penseurs tels que Fernand Braudel et Immanuel Wallerstein ont démontré que la partie de l’Europe située à l’est de l’Elbe –principalement habitée par des peuples slaves – était, au début de l’époque moderne, la première « zone semi-périphérique » de l’économie capitaliste mondiale. L’ensemble de ces pays fut contraint à un état de dépendance, et ses populations rurales réduites au servage. Parallèlement, le Royaume de Pologne devint une superpuissance locale, avant d’être colonisé par ses voisins, pour après son indépendance, étendre ses efforts coloniaux au-delà de la région et d’aujourd’hui utiliser la pensée postcoloniale d’une façon détournée contre par exemple l’Union Européenne. Ces histoires d’oppression à la fois vécues et transmises compliquent les débats autour de la décolonisation et rendent cette région elle-même très opaque.
Artistes
Agnieszka Polska
Janek Simon
Slavs and Tatars
Emma Wolukau-Wanambwa
Curatrice
Joanna Warsza
Architecture d'exposition
Janek Simon
Cette exposition est organisée en collaboration avec le Ujazdowski Castle Centre d’Art Contemporain à Varsovie, qui en février 2019, avait présenté une rétrospective de Janek Simon « Synthetic Folklore » et avec le soutien du Goethe Institut - Paris.
Merci à Kader Attia, Lucas Erin, Alix Hugonnier, Sean Kiely et à toute l’équipe de la Colonie.
Małgorzata Ludwisiak, Urszula Kropiwiec et à toute l’équipe de CCA Varsovie, de SAVVY Contemporary Berlin et de l'institut polonais à Paris.
L'exposition se visite du mardi au samedi de 11h à 18h, sauf les jours fériés.
What is the place of Eastern Europe in (post)colonial debates and in the larger colonial project? How to understand the region,
which was both oppressed and oppressor? The exhibition casts a light on how colonial and neocolonial forces have navigated the territories of Eastern-Europe, Poland in particular, and shows a tiny fragment of this complicated picture. From the abolishment of serfdom, the unfulfilled hegemonic aspirations in Africa, to today’s perverse use of postcolonial theory in the nationalist agenda.Such an inquiry can offer ways to better understand the region’s right-wing turn, the permanent need of affirmation of its exeptionalism and victimhood, the firm anti-immigration stance, and finally the lack of the critical examination of its own imperial past, but also think of the ways of going beyond such entanglement. The collective Slavs and Tatars presents a banner reflecting on the nature of self-determination, derived from the struggles against the division of Poland by Russia, Prussia and Austro-Hungarian Empire, which coincide with the transnational movement for abolishment of serfdom. It was a condition of indentured servitude of peasants developed in Eastern Europe from Middle-ages till the mid-19th century. Janek Simon traces the history of the Maritime and Colonial League, an non-governmental organization counting one million members in 1939, lobbing to get possessions of Togo, Cameroon and Madagascar, violently linking the Polish independence of 1918 with colonies. Janek’s other works, 3D sculptures and algorithmic mosaics search for a planetary language between the singular and the common. Emma Wolukau-Wanambwa, engages with the history of Polish refugees evacuated to Iran during World War II, from where some fled onwards to Uganda, housed in refugee camps, the memory of which is totally erased.
A film by Agnieszka Polska refers to the concept of Slavdom as analyzed by renowned scholar Maria Janion: diagnosing Polish superiority and inferiority both to the East and the West. “Sometimes — as says the artist — I feel Poland is drowning.” According to some thinkers, there’s an etymological link between the words “Slav” and “slave”. Scholars such as Fernand Braudel and Immanuel Wallerstein have shown that part of Europe East of the river Elbe, inhabited mostly by Slavs, was the first semi-peripheral zone of capitalist world-economy in early modern times. It was pushed into a state of dependency, forcing rural populations into serfdom. In parallel, the kingdom of Poland became a local hegemon, then was itself later divided between three countries, before aspiring, after its independence, for its own colonies to the today perverted appropriation of the postcolonial theory against e.g. the EU. This slalom of oppression lived and transmitted not only complicates the decolonizing debates but also leaves the region pretty opaque to herself.
Artists
Agnieszka Polska
Janek Simon
Slavs and Tatars
Emma Wolukau-Wanambwa
Curator
Joanna Warsza
Exhibition architecture
Janek Simon
In collaboration with the Ujazdowski Castle Centre of Contemporary Art in Warsaw, which in February 2019 presented the survey exhibition of Janek Simon, a choice of which is presented here and with the support of the Goethe Institut, Paris. The accompanying reader was published by SAVVY Contemporary Berlin in 2017 in relation to the previous itineration of this show.
Many thanks to Kader Attia, Lucas Erin, Alix Hugonnier, Sean Kiely to la Colonie's team.
Małgorzata Ludwisiak, Urszula Kropiwiec and the entire team of CCA Varsovie, de SAVVY Contemporary Berlin and the Institut polonais in Paris.
The exhibition is opened from Tuesday to Saturday from 11AM to 6PM.